Pascaline Lepeltier : "Rien ne me prédisposait au vin, c'est une heureuse solution"
Publié : 8 mars 2021 à 5h15 par Julia Maz-Loumides
À l’occasion de la journée internationale des Droits des Femmes, nous avons pu interviewer Pascaline Lepeltier, sommelière angevine installée à New-York depuis 12 ans.
Pascaline Lepeltier vogue entre Manhattan et la France à la recherche des plus beaux vins à faire découvrir à ses clients. Cette sommelière de talent a remporté, en 2018, deux titres : celui de Meilleur ouvrier de France, et de Meilleur sommelier de France, une première pour une femme.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours et nous expliquer comment le vin est entré dans votre vie ?
Je suis née à La Rochelle, c’est mon grand-père qui était médecin qui a accouché ma mère, ensuite on a rapidement déménagé dans la Vallée de la Loire, d’abord à Nantes, puis à Angers où j’ai vraiment grandi, donc, je me considère vraiment angevine de cœur, d’ailleurs mes parents sont toujours là-bas.
Rien ne me prédisposait au vin, c’est une heureuse solution qui s’est présentée à la sortie de mes études de philosophie. Après avoir eu des doutes sur ma capacité à enseigner en préparant les concours d’enseignement de philosophie, j’ai eu besoin de faire un break, et le vin est entré dans ma vie à ce moment-là, un peu comme une porte d’accès à la terre et au travail des mains, et je n’en suis pas ressorti, j’avais 25 ans à l’époque.
Comment vous êtes-vous retrouvée à New-York ?
J’ai eu beaucoup de chance ! Grâce à mon apprentissage à la Chambre de Commerces et d’Industrie d’Angers, j’ai eu la chance de travailler dans un très bon restaurant qui s’appelait l’Auberge Bretonne, qui m’a permis, à la fin de mon apprentissage, d’être embauchée par un groupe belge qui allait ouvrir un restaurant à New-York et qui cherchait quelqu’un pour développer un tout nouveau programme de boissons se fondant sur le développement durable. Ils avaient entendu parler de moi, j’avais déjà, à cette époque, un véritable amour et intérêt pour les vins issus d’une agriculture respectueuse, qui sont des vins qu’on trouve beaucoup dans la Vallée de la Loire.
Quand le restaurant de New-York a ouvert, ils m’ont proposé de rejoindre l’équipe et ça va faire maintenant 12 ans que je suis ici à Manhattan.
Est-ce que ça a été facile, en tant que française, de vous imposer à New-York ?
New-York est une ville qui vous enchante ! Je suis tombée amoureuse de la ville immédiatement, j’avais une équipe fantastique au restaurant, je me suis fait des amis immédiatement, après, j’étais dans un milieu qui me passionnait et le milieu du vin en 2009 était en train d’exploser ici.
La ville vous donne beaucoup, elle prend beaucoup, ça ne dort vraiment jamais. Il faut aimer cette intensité, aimer vouloir se dépasser tout le temps parce que si on n’est pas excellent ici, c’est un peu dur. Être français, dans le milieu de la gastronomie, est une force indéniable lorsque vous êtes à l’étranger. La France a un tel rayonnement par sa tradition culinaire que les gens vous font quasiment immédiatement confiance si vous avez un petit accent français.
C’est un honneur pour moi de parler du travail et de la qualité des produits que nous produisons en France. Dans mon métier, c’est un vrai plus d’être française.
Qu’est-ce que ça fait d’être la première femme à devenir Meilleur ouvrier de France dans la catégorie sommellerie et Meilleur sommelier de France ?
C’est énormément de fierté ! Cela signifie que le travail paye, ça veut dire que le métier évolue aussi, ça veut dire que quand on y croit et qu’on essaye de faire un travail intègre et respectueux, et de vraiment comprendre, on peut y arriver.
Avant ces titres, j’ai fait beaucoup de compétitions, beaucoup de concours et ça n’avait jamais vraiment marché. Lorsque vous comprenez qu’il faut apprendre à se dépasser et à se surpasser dans un but d’enseignement, dans un but de transmission, dans un but de maîtriser le savoir pour le donner aux autres, ça vous rend encore plus fort, et c’est ce qu’il s’est passé en 2018. Les deux titres sont magnifiques mais le titre de Meilleur ouvrier de France a une signification particulière parce que c’est quelque chose qui n’existe qu’en France.
Je suis très fière d’être Meilleur Ouvrier de France, ça va au-delà du savoir-faire, c’est aussi un savoir-être, c’est un comportement exemplaire à avoir dans son métier au quotidien et à transmettre aux jeunes. J’ai la chance de pouvoir enseigner ici à New-York dans différentes structures. Le savoir doit être partagé ! Je ne suis pas devenue professeure de philosophie mais je suis devenue professeure de sommellerie (rires). L’enseignement est vraiment très important pour moi.
Est-ce que c’est difficile de trouver sa place, quand on est une femme, dans le milieu de la sommellerie ?
Historiquement, le milieu du vin est un milieu plus masculin, enfin en apparence parce que le statut de la femme n’était peut-être pas celui qu’il est aujourd’hui. Il y avait énormément de femmes qui travaillaient dans la vigne et qui travaillaient dans le vin. La seule chose, c’est que la phase visible était très masculine.
Ce métier reste un métier dominé par les hommes en termes de pourcentage au niveau des genres mais le métier évolue beaucoup, il a énormément évolué au cours des 20-30 dernières années, que ce soit dans le vignoble avec de plus en plus de viticultrices qui reprennent des domaines ou qui créent des domaines, que ce soit en sommellerie, on voit énormément de jeunes femmes extrêmement talentueuses en charge de postes importants, qui font des concours dans les écoles…
La filière est vraiment en train de se féminiser. Il faut encore continuer à s’affirmer et à montrer qu’on est tout aussi capable de faire le travail, dans un esprit de collaboration, et non dans un esprit de confrontation. Il y a des problèmes comme dans tous les milieux, ça c’est indéniable, mais c’est en train de s’estomper comme dans tous les milieux. Avec un peu d’espoir, on pourra vraiment arriver un jour à une vraie parité.
(Entretien retranscrit par Mikaël Le Gac)